Lettre ouverte à Brigitte Macron à propos des combattantes kurdes

mis à jour le Mardi 9 mars 2021 à 16h35

Lefigaro.fr | Par Kéwé Tekochine

FIGAROVOX/TRIBUNE - À l’occasion de la journée internationale du droit des femmes, une écrivaine française et ancienne combattante aux côtés des forces kurdes en Syrie, Kéwé Tékochine, adresse une lettre ouverte à Brigitte Macron. Pour elle, il s’agit d'un devoir moral et politique de reconnaître leur engagement au Moyen-Orient.

Kéwé Tékochine est le nom de guerre kurde d’une jeune écrivaine française de trente ans, qui écrit sous pseudonyme pour des raisons de sécurité. Issue du monde de la communication et du commerce, elle a été réserviste dans un régiment de cavalrie avant de tout quitter pour choisir l’aventure et l’engagement pour de grandes causes.

 

 

Madame,

Française de trente ans et ancienne réserviste de l’armée de terre issue d’une famille de marins et de soldats, je suis partie en 2019 dans ce qu’on appelait alors la Fédération Démocratique du Nord de la Syrie pour y intégrer un bataillon militaire des unités féminines kurdes du YPJ. J’y suis allée au titre de combattante à part entière, mais aussi pour écrire un livre sur ces femmes que j’admire.

Sans doute les connaissez-vous déjà. Là-bas, on les appelle Yapajas et elles m’ont donné comme nom de guerre KéwéTekochine - Perdrix Combat. Pendant des années, elles et leurs camarades masculins du YPG ont lutté avec un courage, une volonté et une résilience extraordinaires contre l’islamisme radical.

À l’idéologie totalitaire de Daech, elles ont opposé un projet fondé sur quatre piliers principaux: démocratie, laïcité, écologie et féminisme. Ainsi au début de l’année 2019 leurs troupes, qui appartiennent aux Forces Démocratiques Syriennes (FDS) - l’alliance des Kurdes, des Arabes et des Chrétiens du nord de la Syrie - sont-elles parvenues à éliminer le califat de Daech, avec l’appui de la coalition internationale dont la France faisait partie.

Seules les FDS étaient parvenues à faire reculer l’idéologie mortifère de l’islamisme qui, depuis, revient en force dans toute cette partie du Moyen-Orient.

Cette victoire, vous le savez, les FDS l’ont payée au prix du sang: 36.000 tués et blessés. Des filles et des garçons de mon âge. Mais cette victoire est déjà bien lointaine pour nos sœurs et frères d’armes kurdes qui ont fait l’admiration des soldats français luttant à leur côté. Elle est amère puisqu’elle n’a pas empêché qu’en octobre 2019 le président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan, envahisse leur pays, lâchant sur les populations une soldatesque d’une cruauté inimaginable, cruauté qu’elle a notamment exercée sur une jeune femme de trente ans dont vous connaissez certainement le nom: Evrin Khalaf, l’une des personnalités politiques Kurdes les plus estimées et les plus prometteuses.

Face à la deuxième plus importante armée de l’Otan, sans aucun appui occidental, les FDS ne pouvaient faire le poids: elles ont sauvé quelques bastions, mais ont vu réduit à néant leur espoir de créer dans cette partie de la Syrie un territoire de droits et de liberté où la France était admirée et respectée. Pourtant, elles seules étaient parvenues à faire reculer l’idéologie mortifère de l’islamisme qui, depuis, revient en force dans toute cette partie du Moyen-Orient: tentaculaire et protéiforme, elle n’avance plus sous la seule bannière de Daech mais se cache désormais derrière le nom d’Armée nationale syrienne.

En laissant l’islamisme radical revenir en force avec l’aide de la Turquie, nous sommes assurés de voir recommencer un jour l’horreur que nous avons connue au Bataclan.

Le fait qu’aucun attentat de grande ampleur n’ait eu lieu en France depuis que Raqqa a été reconquise par mes camarades ne tient pas du hasard: c’est depuis cette ville qu’avaient été fomentés les attentats du 13 novembre 2015. En laissant l’islamisme radical revenir en force avec l’aide de la Turquie, nous sommes assurés de voir recommencer un jour l’horreur que nous avons connue au Bataclan.

Au début du mois de novembre 2020, j’ai appris de mes amis Kurdes que votre mari, le Président de la République, avait accepté de recevoir une délégation de hauts dirigeantes et dirigeants des FDS, comme il l’avait déjà fait en 2018 et 2019. La commandante Tûlin, cheffe des unités féminines kurdes, devait notamment en être. Ce geste donnait espoir à ces femmes et ces hommes qui, s’ils se sont d’abord battus pour leur liberté, ont aussi combattu notre ennemi commun parce que nous partageons les mêmes valeurs. Ainsi notre responsabilité vis-à-vis d’eux est-elle à la fois politique et morale.

Malheureusement, cette rencontre a été sans cesse repoussée, voire annulée, sur les conseils de nos diplomates.

 

Par cette lettre je me permets de solliciter votre appui public afin que vous interveniez auprès de votre mari, le Président Emmanuel Macron, en faveur de la réception de cette délégation sans plus attendre. C’est extrêmement important.

Si cela se révélait impossible, je veux croire que vous accepterez en échange de recevoir vous-même les personnalités féminines de cette délégation. Vous sachant particulièrement concernée par la lutte contre toute forme de violence faite aux femmes, je suis certaine que vous saurez reconnaître les mérites de celles qui ont porté le plus grand mouvement féministe que le Moyen-Orient ait connu ces dernières décennies ; un mouvement qui a tout fait pour rompre cette règle implacable qui veut que, dans cette région, le fait de naître femme soit trop souvent une malédiction. Un mouvement dont il serait tragique que, d’ici quelques années, nous l’évoquions au passé.

Je vous remercie, Madame, de l’attention que vous voudrez bien porter à mon message et vous assure de mes sentiments les meilleurs.

Respectueusement