Le Haut-Karabakh, nouveau théâtre d’intervention des mercenaires syriens à la solde d’Ankara

mis à jour le Vendredi 2 octobre 2020 à 16h19

Lemonde.fr | Par Benjamin Barthe et Madjid Zerrouky

Leur présence sur le terrain, démentie par Bakou et Ankara, est attestée par des témoignages concordants. Ils ont été déployés aux côtés de l’armée azerbaïdjanaise pour combattre les forces arméniennes. « Le Monde » a pu s’entretenir avec deux supplétifs qui s’apprêtent à rejoindre à leur tour le Haut-Karabakh.

Les mercenaires préférés du président turc Recep Tayyip Erdogan étendent leur périmètre d’action. Les miliciens syriens pro-Ankara, qui ont semé la terreur à l’automne 2019 dans le Rojava, le Kurdistan syrien, et qui ont participé durant l’hiver et le printemps à la défense de Tripoli, la capitale libyenne assiégée par les forces du maréchal Haftar, ont été déployés dans les montagnes du Haut-Karabakh. Dans cette région du Caucase hautement disputée, les combattants syriens épaulent les troupes azerbaïdjanaises contre les forces séparatistes arméniennes. Leur présence sur le terrain, démentie par Bakou et Ankara, est attestée par les annonces de décès qui commencent à émerger sur les réseaux sociaux.

Jeudi 1er octobre, le site d’information syrien Jesr Press a, par exemple, rapporté la mort dans les combats déchirant l’enclave d’un certain Qassem Mustafa Al-Jazmour, originaire de Deir ez-Zor, dans l’est de la Syrie. L’homme était membre du groupe armé Sultan Mourad, une faction turkmène qui a participé à la lutte contre le régime Assad, avant de se recycler, à mesure que l’insurrection perdait du terrain, en milice supplétive de l’armée turque. Ces dernières années, sous le label de l’Armée nationale syrienne (ANS), Sultan Mourad et d’autres formations rebelles désenchantées ont délogé les forces kurdes d’une partie du Nord syrien, transformée en protectorat turc de fait.

Mardi, le journaliste syrien Hussein Akoush avait confirmé la mort sur le champ de bataille caucasien d’un autre combattant venu de Syrie : Mohamed Shaalan, originaire de l’ouest d’Alep, enrôlé, lui aussi, dans les rangs de l’ANS. Le service arabe de la BBC, pour sa part, a publié mercredi le témoignage d’un Syrien déployé dans le Haut-Karabakh, joint par messagerie électronique. Prénommé Abdallah, il raconte qu’il est arrivé en Azerbaïdjan à la fin du mois de septembre, avant le début des combats, appâté par la promesse d’un salaire mensuel de 2 000 dollars (1 700 euros), une somme très conséquente dans la Syrie en ruines d’aujourd’hui.

« Ce sont nos alliés »

Habillé d’un uniforme de l’armée azerbaïdjanaise, il a d’abord été affecté à un poste frontière, comme son commandant s’y était engagé, avant d’être envoyé sur le front lorsque les hostilités ont commencé, le 27 septembre. Le supplétif, qui a communiqué avec la BBC après avoir récupéré subrepticement son téléphone, qui lui avait été confisqué à son arrivée à Bakou, fait état de la mort d’au moins dix de ses compatriotes.

Personne ne sait avec certitude combien de mercenaires syriens ont déjà été acheminés sur le champ de bataille caucasien et combien d’entre eux y ont été tués. Les observateurs les mieux informés parlent de plusieurs centaines pour les premiers et de quelques dizaines pour les seconds. Ce qui est sûr, c’est que la présence syrienne promet d’augmenter. Le Monde a pu s’entretenir par WhatsApp avec deux membres de l’ANS, présent actuellement à Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, et qui s’apprêtent rejoindre le Haut-Karabakh : Mohamed Ali et Ali Ahmed Al-Khalaf, âgés de 24 ans.

« On est deux cents à partir pour l’Azerbaïdjan, affirme le premier, qui est affilié au groupe Faïlak Al-Cham, une autre composante de l’ANS. Nos chefs nous ont proposé une paye oscillant entre 1 300 et 1 800 dollars. La situation à Idlib est très difficile et j’ai une famille à entretenir. Quel que soit l’endroit où les Turcs me demanderont d’aller, j’irai. Ce sont nos alliés. » « Notre mission consistera à garder la frontière entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, mais nous pourrons aussi participer à des attaques, expose le second. Nous avons des intérêts croisés avec la Turquie. C’est le dernier pays à soutenir encore la révolution, donc c’est normal de coopérer avec elle. »

Des motivations d’ordre financier

Derrière ces considérations politiques, Ali Ahmed Al-Khalaf confesse lui aussi obéir à des motivations d’ordre financier. « Avec l’épidémie de coronavirus, il n’y a plus de travail à Idlib. Le salaire que l’on nous offre, entre 1 300 et 1 800 dollars, constitue une somme importante. Depuis l’accord de désescalade conclu en mars par la Turquie et la Russie, les combats ont cessé à Idlib. Ce n’est donc pas un problème si l’on s’absente. On nous a dit que l’on sera de retour dans deux mois. »

Tout le monde à Idlib ne voit pas le départ de ces hommes armés d’un bon œil. Abu Al-Yaqdhan Al-Masri, un cheikh égyptien, affilié pendant un temps à Hayat Tahrir Al-Cham, le groupe islamiste radical qui contrôle le nord-ouest syrien, a publié une fatwa déconseillant de prendre part aux combats du Haut-Karabakh. « C’est un grand péché pour les jeunes de quitter la Syrie et de renoncer au djihad qui est obligatoire, proclame le texte. Les combats là-bas opposent deux armées laïques (…) La vie est précieuse, il faut veiller à ne pas la gaspiller pour un motif autre que Dieu. »

A la mi-septembre, la Commission indépendante internationale des Nations unies sur la Syrie a publié un rapport sur le régime de terreur imposé par l’ANS dans les zones kurdes du nord de la Syrie passées sous son contrôle. Le document détaille les meurtres, viols, pillages, rackets, enlèvement et actes de torture perpétrés de façon quasi-routinière.