José Manuel Barroso soutient les dirigeants turcs mais exige une reprise des réformes


11 avril 2008 | ISTANBUL CORRESPONDANCE

La Turquie doit "avancer dans le processus de réformes" à mener si elle veut espérer, un jour, faire partie de l'Union européenne (UE). Dès son arrivée à Ankara, jeudi 10 avril, pour une visite de deux jours, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a insisté auprès du président de la République, Abdullah Gül, et du premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, sur la nécessité de mettre en oeuvre les mesures indispensables à l'ouverture de négociations d'adhésion.


REUTERS/UMIT BEKTAS
Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan (à g.), et le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, à Ankara (Turquie), jeudi 10 avril 2008.

Cette première venue en Turquie de M. Barroso - accompagné du commissaire à l'élargissement, Olli Rehn - intervient à un moment sensible. Les dirigeants européens sont accusés par l'opposition turque de soutenir l'AKP au pouvoir, depuis que le parti de M. Erdogan est la cible d'une procédure d'interdiction, lancée le 31 mars par les juges de la Cour constitutionnelle.

"ACTIVITÉS ANTILAÏQUES"

L'AKP et soixante et onze de ses dirigeants sont poursuivis pour "activités antilaïques", notamment pour avoir engagé la réforme du port du voile à l'université. La procédure est jugée par l'UE peu compatible avec les critères démocratiques européens. M. Rehn a réagi lors de son lancement en soulignant que "dans une démocratie normale, ces problèmes politiques doivent se régler dans les urnes, pas devant les tribunaux". Il avait laissé planer la menace d'une suspension des négociations d'adhésion en cas de fermeture du parti. Le parti kémaliste CHP a à son tour menacé de boycotter le discours de M. Barroso devant le Parlement, jeudi, s'il y évoquait l'affaire

Pour l'AKP, la visite tombe bien. Mis en difficulté par cette action en justice, le parti a ressorti juste à temps sa carte européenne et promis une série de mesures fortes, au cours d'une année 2008 qui sera celle "de l'Europe", selon le ministre des affaires étrangères, Ali Babacan. Le président Gül a appelé à rattraper le retard. M. Erdogan a réaffirmé, jeudi, que l'article 301 du code pénal, qui restreint la liberté d'expression, serait amendé par le Parlement la semaine du 14 avril, malgré l'opposition des partis "laïques". "C'est un pas dans la bonne direction", s'est félicité le chef de la Commission européenne.

Concernant sa procédure d'adhésion, "la Turquie doit y consacrer toute son énergie et ne pas se laisser distraire de cet objectif", a déclaré M. Barroso, précisant qu'il restait "beaucoup de travail à faire". Depuis trois ans, le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan a suscité l'impatience de Bruxelles en tardant à mettre en oeuvre les réformes attendues, alimentant l'hostilité de ceux qui ne veulent pas de la Turquie dans l'Union européenne, la France notamment. Mercredi 9 avril, M. Barroso avait déjà affirmé que "la Turquie (devrait) démontrer à l'Europe l'intérêt de son adhésion".

Les négociations d'adhésion, lancées en 2005, piétinent : six chapitres sur trente-cinq ont été ouverts. Deux autres pourraient l'être d'ici à l'été. Mais un seul a été clos, celui consacré à la recherche, et huit sont gelés depuis décembre 2006 en raison du différend sur la question de Chypre. L'Union exige des avancées démocratiques : M. Barroso a mentionné, jeudi, devant les responsables turcs, le système judiciaire, l'influence du pouvoir militaire sur la scène politique, ou la liberté d'expression, "essentielle pour le fonctionnement des démocraties". Or, au même moment, à Diyarbakir (sud-est), la responsable politique kurde Leyla Zana était condamnée une nouvelle fois à deux ans de prison pour avoir qualifié de "dirigeant kurde" Abdullah Öcalan, le leader emprisonné du PKK.