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Jugé pour la mort par balle d'une fillette kurde, un policier belge dit ses regrets


Lundi 23 novembre 2020 à 18h22

Mons (Belgique), 23 nov 2020 (AFP) — "Si j'avais su qu'il y avait un enfant, jamais j'aurais sorti mon arme". Un policier belge jugé pour la mort de Mawda, une fillette kurde de deux ans, atteinte par une balle lors d'une course-poursuite, a exprimé ses regrets lundi devant le tribunal correctionnel de Mons (sud).

"Avant d'être policier, je suis un être humain, je suis papa", et "la mort de Mawda m'a effondré", a déclaré d'un ton fébrile Victor-Manuel Jacinto Goncalves, cheveux bruns courts et blouson foncé, lors du premier interrogatoire des prévenus.

"Si j'avais su qu'il y avait un enfant (à bord de la camionnette pourchassée), j'aurais jamais sorti mon arme, jamais! Même pas de son étui", a-t-il affirmé, disant avoir visé un pneu du véhicule pour provoquer "une crevaison lente" le forçant à s'arrêter.

Agé de 48 ans, cet ex-informaticien devenu policier en 2008 est accusé d'homicide involontaire, un délit passible de cinq ans de prison.

Il comparaît libre aux côtés de deux Kurdes d'Irak qui sont eux en détention provisoire: le chauffeur de la camionnette où se trouvaient Mawda et ses parents, et le passeur soupçonné de les avoir fait monter à son bord pour rejoindre l'Angleterre. Tous deux ont de nouveau nié lundi leur implication.

Les faits remontent à la nuit du 16 au 17 mai 2018, sur une autoroute de Wallonie, au sud de Bruxelles. Une camionnette transportant une trentaine de migrants pris en charge à Grande-Synthe (nord de la France) accélère pour échapper à une voiture de police qui veut l'intercepter.

- "Fortement déconseillé" -

Face à ce refus d'obtempérer, l'un des policiers sort son arme par la fenêtre. Il vise le "pneu avant gauche" en doublant, selon ses explications au cours de l'enquête, mais un brusque coup de volant de son collègue dévie son tir.

A l'intérieur de la camionnette, Mawda, installée derrière le chauffeur, est touchée d'une balle dans le visage. La fillette de deux ans décède dans l'ambulance.

Lundi, M. Jacinto Goncalves a admis que l'usage d'une arme à feu contre un véhicule en pleine course était "fortement déconseillé" par les formateurs des écoles de police.

Mais cette nuit-là "il n'y avait pas d'autre solution", a-t-il assuré, "un véhicule ça peut servir d'arme, il y avait danger pour ma vie, celles de mon collègue et des autres usagers de la route".

Selon les experts, la camionnette, qui avait tenté de percuter la voiture de police, roulait à près de 100 km/h pour échapper à ses poursuivants.

- "Ni oubli, ni pardon" -

Après le tir, le véhicule s'immobilise sur un parking, les secours interviennent et de premières informations font état d'un enfant victime d'un "traumatisme crânien".

"La police judiciaire fédérale était sur place et à un moment à 5 heures du matin ils viennent vers moi et me disent +tu n'es pas en cause+", a assuré l'inspecteur poursuivi. Il n'apprend que plusieurs heures plus tard que son tir a été mortel.

La balle a traversé la tête de la fillette, provoquant "une section du tronc cérébral" en général synonyme de "décès quasi instantané", a expliqué dans la matinée le médecin légiste, le Dr Grégory Schmit. Un témoignage que la mère de Mawda a préféré de ne pas entendre, quittant la salle.

Les parents de Mawda, a décrit un de leurs conseils, "ont fui l'Irak en 2015" (âgés de moins de 25 ans à l'époque) et sont arrivés en Europe en traversant la Méditerranée. Ils cherchaient un passage vers l'Angleterre depuis les environs de Calais (nord de la France).

Après le drame, leur fillette a été enterrée à Bruxelles en juillet 2018, et le couple bénéficie depuis février 2019 d'un droit de séjour en Belgique pour des raisons humanitaires.

Pour les soutenir, des cris "Justice pour Mawda" ont retenti lundi matin devant le tribunal de Mons, où une corde avait été tendue pour y suspendre des vêtements d'enfant et un portrait de la fillette avec l'inscription "ni oubli ni pardon".

Ces gestes, à l'initiative d'un collectif citoyen mobilisé contre la répression anti-migrants, se sont répétés devant plusieurs palais de justice, notamment à Anvers (nord).

Le procès se poursuivra mardi. Le tribunal devrait ensuite mettre son jugement en délibéré.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.