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Belgique: un policier au tribunal pour la mort par balle d'une fillette kurde


Lundi 23 novembre 2020 à 04h02

Bruxelles, 23 nov 2020 (AFP) — Un policier belge est jugé lundi à Mons (sud) pour la mort d'une fillette kurde de deux ans, atteinte par une balle lors d'une course-poursuite sur une autoroute, un dossier emblématique de la "criminalisation" des migrants dénoncée par les ONG.

Accusé d'homicide involontaire, délit passible de cinq ans de prison, le policier comparaît devant le tribunal avec deux Kurdes d'Irak: le chauffeur de la camionnette où se trouvaient Mawda et ses parents, et le passeur soupçonné de les avoir fait monter à son bord pour rejoindre l'Angleterre.

L'audience doit durer jusqu'à mardi. Le tribunal correctionnel de Mons devrait ensuite mettre son jugement en délibéré.

Les faits remontent à la nuit du 16 au 17 mai 2018, sur une autoroute de Wallonie, au sud de Bruxelles. Une camionnette transportant une trentaine de migrants pris en charge à Grande-Synthe (nord de la France) accélère pour échapper à une voiture de police qui veut l'intercepter.

Face à ce refus d'obtempérer, l'un des policiers sort son arme par la fenêtre et vise, selon ses explications, "le pneu avant gauche" en doublant.

Mais un brusque coup de volant de son collègue dévie son tir vers l'habitacle du véhicule pourchassé, où Mawda, installée derrière le chauffeur, est touchée d'une balle dans la tête. Elle décède dans l'ambulance.

- "Epouvantable" -

Dans ce dossier, l'auteur du tir, un homme d'une quarantaine d'années qui comparaît libre, a rapidement reconnu avoir sorti son arme pour stopper la course folle du véhicule.

Mais le policier assure n'avoir jamais su que des migrants se trouvaient à bord et s'est dit "anéanti" par la mort de fillette.

"Avoir l'image de celui qui est responsable de la mort d'un enfant, c'est absolument épouvantable", dit à l'AFP son avocat, Me Laurent Kennes.

"Il a l'impression de tout prendre dans la figure, de porter le poids des erreurs du parquet, de la politique migratoire", ajoute le pénaliste.

Le démarrage de l'enquête a été chaotique. Le procureur qui en était chargé a d'abord été évasif sur la question du tir par un policier. Il a évoqué l'hypothèse d'une personne armée à bord de la camionnette, ce qui a ensuite été démenti.

De leur côté, les parents de Mawda, partis d'Irak en 2015 (à moins de 25 ans), se sont installés en Belgique après le drame.

Leur fillette a été enterrée à Bruxelles en juillet 2018, et le couple bénéficie depuis février 2019 d'un droit de séjour pour des raisons humanitaires.

- "Politique raciste" -

Défendus par des avocats qui réclamaient un procès d'assises pour "homicide volontaire", ils ont reçu sur les réseaux sociaux le soutien d'intellectuels et artistes du monde entier... Du cinéaste Ken Loach au cofondateur des Pink Floyd Roger Waters en passant par des auteurs ou acteurs turc, algérien, belge, qui exigent que cessent "la déshumanisation et la criminalisation des migrants".

Damien Carême, ex-maire de Grande-Synthe, entre Calais et Dunkerque, se souvient qu'à l'époque des faits, "3 à 400" migrants étaient hébergés dans un gymnase de sa commune, conséquence de l'incendie d'avril 2017 ayant détruit un vaste campement.

Tous attendaient un passage vers les côtes anglaises et des passeurs étaient présents en nombre pour monnayer leurs services, explique à l'AFP cet eurodéputé écologiste.

"On essaie de fermer hermétiquement les frontières, ça fait le jeu des passeurs en renchérissant le coût du passage", déplore-t-il, "ce trafic devient le troisième le plus juteux au monde après celui des armes et celui des stupéfiants".

Pour la Ligue des droits humains (LDH) belge, "le meurtre de Mawda a eu lieu dans le cadre d'opérations de traques qui s'inscrivent dans une politique raciste de fermeture des frontières" au niveau européen.

Au procès, la question du partage d'informations entre autorités françaises et belges devrait également être évoquée.

La camionnette était surveillée via une balise GPS posée dans le cadre d'une enquête en France, ce que les Belges ignoraient, selon l'enquête.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.